Vaste sujet.
Que veut dire “écriture engagée” en soi, et quel sens donne-t-on à son expression aujourd’hui ? Recouvre-t-elle une réalité bien différente d’il y a dix ou cinquante ans ? Sûrement.
J’ai décidé d’aborder cette rentrée scolaire 2021 munie de sujets qui me tiennent particulièrement à cœur ; cette notion d’engagement en littérature en fait partie.
C’est donc ce que je vous propose dans cette newsletter que j’ai trop longtemps délaissée cet été. Entre un déménagement sur Bordeaux et la reprise de mon manuscrit Les Pavés du pardon, j’ai eu beaucoup à faire si on y ajoute également quelques semaines de congés…
Alors ce sera un sujet en quatre parties, dont la première portera sur l’engagement en écriture par l’actualité politique au sens des grands conflits. Bien sûr, il s’agit de mes réflexions et comment celles-ci peuvent aider d’autres auteurs en devenir et non pas d’une thèse exhaustive…
L’écriture engagée ou l’intensité d’Elsa Triolet
Les mois d’été m’ont permis de laisser émerger des éléments de réflexion au fil de mes lectures. L’un d’eux a été de songer à ce que l’on entend aujourd’hui par “ une écriture engagée”. Cette expression a traversé les années, ajustant sa signification aux combats de chaque époque.
Une écriture engagée dans les années quarante, cinquante, soixante, se faisait difficilement sans inclure les atrocités de la Seconde Guerre Mondiale, l’antagonisme de la Guerre Froide, la fièvre des Trente Glorieuses, le sanglant de la Guerre d’Algérie. S’engager c’était se positionner pour la paix (ou non), repenser les notions de conflits, les valeurs et les choix humains face à l’insoutenable, embrasser (ou non) le progrès économique et l’envolée de l’Europe et des États-Unis quant au reste du monde.
De fait, je viens de terminer la lecture du Prix Goncourt 1944 d’Elsa Triolet Le premier accroc coûte deux cents francs. Petite anecdote, certaines des nouvelles qui composent cette œuvre ont été publiées durant la guerre sous un pseudonyme masculin…
La première nouvelle, Les Amants d’Avignon, fut publiée dans la clandestinité aux Éditions de Minuit le 25 octobre 1943
Au-delà de la qualité de l’écriture d’Elsa Triolet, de l’intensité de la narration et de la profondeur des personnages, c’est bien l’engagement de ses écrits qui ressort. Mais comment le qualifier ? De politique bien sûr, et qui permet d’aborder la littérature comme l’un des médiums principaux pour afficher sa révolte, affirmer sa vision du monde et convaincre, sensibiliser, toucher au cœur par la vérité qui ne peut sortir que d’une fiction.
Comment rattacher son récit à la grande Histoire
À chaque époque, ses conflits, ses drames, ses combats sociétaux. Hier le nazisme et les conflits mondiaux, aujourd’hui l’islamisme terroriste, les violences policières, et les flux de réfugiés, et demain ?
De nombreuses œuvres appuient leur engagement, donc la vision de leur auteur, par leur rattachement, de près ou de loin, à de grands événements ou débats d’actualité. C’est connecter la petite et la grande Histoire tout en plantant un décor dans lequel de nombreux lecteurs pourront y trouver un intérêt : certains parce qu’ils partagent la vision de l’auteur, d’autres parce qu’ils la découvrent ou satisfont leur curiosité pour l’événement ou la problématique politique en question.
Engager
“Fait de prendre parti sur les problèmes politiques ou sociaux par son action et ses discours”
On prend donc parti, on choisit, on précise pour convaincre et qu’est-ce que l’écriture si ce n’est de l’action et des discours ?
Alors comment s’y prendre en tant qu’auteur en devenir pour esquisser une œuvre dans le contexte d’un grand conflit, qu’il soit d’actualité ou passé ?
Si l’on s’en tient à l’exemple d’Elsa Triolet, voici quelques enseignements que l’on peut tirer des Amants d’Avignon et autres nouvelles qui composent son célèbre livre :
chaque personnage doit/peut refléter une vision particulière du conflit et incarner une certaine vision du monde
ce qu’Alexis, le peintre, défend chez Elsa Triolet est presque aux antipodes de la vision de Louise, et c’est ce qui leur donne tant de chair et d’âme aux yeux du lecteur.
le kaléidoscope de visions et de combats incarnés par les personnages doit avant tout se traduire par des actions au sens propre plus encore que par de longs discours
Comme pour nous, dans notre vie quotidienne, les actions ont bien plus de poids que les mots lancés au détour d’une conversation. Qu’un personnage crie son soutien à la Résistance sans quitter son appartement et on percevra un être assez faux, faible, incapable de tenir parole.
que les personnages ne soient pas tous du “bon côté”, l’écriture engagée exige de la nuance dans les caractères, les propos et les comportements. Dans la “vraie vie”, les méchants et les gentils laissent place aux humains, bien plus complexes…
Alexis Slavsky, l’artiste-peintre encore, est l’exemple même de la nuance et démontre que le non-choix est impossible dans des contextes comme celui de la Seconde Guerre Mondiale, mais parvient tout de même à produire une certaine réalité, un certain quotidien. La neutralité n’abrite pas des événements extérieurs et des rencontres qui, en fin de compte, influencent forcément, et modèlent la personne au fur et à mesure. Arrivé à la fin du récit, Alexis n’est plus tout à fait le même et c’est ce qui rend la chose puissante…
Je vous retrouve très bientôt pour l’épisode 2/3 sur l’écriture engagée. Le prochain sujet ? L’écriture engagée ou les enjeux sociétaux que relèvent Virginie Despentes et Leïla Slimani notamment et qui investissent la sphère privée et notre quotidien.
Hâte de vous retrouver,
Belle lecture,
Raphaëlle Béguinel
fondatrice de Je suis auteur / www.jesuisauteur.com
Crédit photo : Edouard Jacquinet