Passer de l’évidence de la description en écriture à la légèreté de l’évocation est l’un des plus grands défis pour tout auteur en devenir. Pour les auteurs tout court d’ailleurs.
Le “show don’t tell”, très connu les cours de creative writing dans le monde anglo-saxon, est l’un des principes d’écriture que l’on se doit de maîtriser. Prendre le lecteur par la main et pointer du doigt n’importe quel détail, n’importe quelle émotion n’est jamais une bonne idée : le récit perd en fluidité, en poésie, en suspense dès que l’on nomme ce que l’on aurait pu montrer.
Mais comment montrer en écriture ? Comment évoquer, comment suggérer lorsque, dans tous les cas, les mots sont nos “seuls” outils ? Justement, ils nous suffisent amplement, l’art devient alors de modeler la langue de manière à donner naissance aux images que l’on souhaite faire connaître au lecteur. Tout est question de visualisation, de faire oublier qu’il ou elle est en train de lire, de s’affranchir du papier et de l’encre pour donner vie à ce que l’on raconte. L’attachement émotionnel, l’engagement du lecteur se joue justement ici.
Tout un programme ? Bien sûr, mais c’est ce qui rend ce sujet si captivant ! C’est à la fois sa complexité, sa délicatesse, son raffinement. Et cela devient une attention de chaque instant pour veiller à maintenir ce fragile équilibre entre compréhension du lecteur et maladresse de l’auteur.
Bonne nouvelle, il existe heureusement de bonnes pratiques pour se faire la main, expérimenter et s’améliorer sur le sujet. Voici un petit aperçu, bonne lecture !
Raphaëlle Béguinel,
Fondatrice de Je suis auteur
3 bonnes pratiques pour miser sur le show
Se muscler en traduction
Pour passer de l’évidence à l’évocation, il est nécessaire de développer des compétences de traduction dans le sens où c’est un effort au départ d’adopter le réflexe de montrer un élément ou une émotion dans le contexte d’une situation, plutôt que de le dire et le servir sur un plateau au lecteur sans autre cérémonie. Des exemples ? En voici :
Plutôt que de dire “ Untel pleurait”, on peut écrire “Ses larmes coulaient”.
Plutôt que de décréter qu’untel est “avare”, on peut la décrire en train de compter le moindre centime pour payer son café et tenter de tromper le serveur. Le lecteur comprendra sans détour et sans avoir lu le terme “avare”.
Pour décrire l’aube naissante, plutôt que d’employer le terme “aube”, on peut évoquer de “timides rayons qui effleurent les toitures de la ville”.
Ces exemples sont parmi les plus évidents, des “clichés de l’évocation” pourrait-on dire, mais je vous les présente avant tout pour asseoir ce principe de traduction. L’enjeu est ensuite de l’appliquer aux situations, émotions, échanges que vous retrouvez dans vos récits.
Analyser son vécu, user de son sens de l’observation
On peut se retrouver démuni pour évoquer certaines émotions, certains traits de caractères ou encore des éléments de notre récit. Comment faire comprendre que notre personnage a peur, est en colère ou qu’il est saoul sans l’écrire noir sur blanc ?
Il faut alors prendre son temps et réfléchir d’abord à son propre vécu ou à des situations rencontrées ou étudiées. Lorsque vous avez vous-même eu peur dans votre vie, qu’avez-vous ressenti, quel comportement avez-vous adopté, quels réflexes étaient visibles ? Une scène de dispute dans un film ou un lieu public, à quoi assistez-vous visuellement ? Et vos autres sens, ont-ils été mobilisés ? Si vous avez déjà été saoul, quelles étaient vos sensations ? Si vous évitez l’évidence, quels sont les gestes ou les paroles qui ont fait comprendre à votre entourage que vous aviez bu quelques verres ?
C’est ce qui donnera du corps et de l’originalité à votre récit car cela rejoindra aussi le principe de défamiliarisation, de rendre moins familier des situations, des émotions, des lieux que nous connaissons par coeur.
Tout est question d’équilibre. Parfois le tell prime sur le show.
Faire un effort d’évocation pour le moindre élément du récitpourra, à l’inverse, s’avérer à la fois très chronophage et lourd à la lecture. Dans certains cas, c’est justement la simplicité des propos qui peut primer sur la suggestion parce que les choses ont besoin d’être nommées sans détour.
C’est justement l’équilibre entre l’évidence et la suggestion qui apportera toute sa nuance et sa fluidité au récit. Et pour cette question d’équilibre, vous demeurez le meilleur juge avec, à vos côtés, vos bêta-lecteurs, votre (futur) éditeur ou tout autre personne de confiance / professionnel du livre qui pourra vous conseiller.
Bonus : songez à votre genre littéraire et aux situations de votre récit et fixez le mix show / tell dont vous avez besoin.
Des scènes fortes de dispute dans un roman psychologique faciliteront l’évocation de d’émotions par le dialogue ou les réactions des personnages. Au contraire, l’introduction d’un nouveau lieu ou les débuts d’un roman de fantasy où le lecteur découvre un nouvel univers constituent un vrai défi d’évocation.
Il est alors TRÈS tentant de décrire, de prendre le lecteur par la main et ne plus le lâcher jusqu’à ce qu’il ait acquis une connaissance suffisante du contexte. C’est souvent une erreur ! Pour que le récit soit captivant, dès ses débuts, il faut songer à intégrer de l’action, des échanges et suggérer plutôt que d’expliquer point par point.
Comment ? En intégrant ces éléments à votre fil narratif, au déroulé de l’histoire.
Par exemple, si un système politique doit être présenté, faites qu’un personnage l’explique à un autre, novice, dans une scène qui justifie une telle explication. Ce sera alors pertinent, intégré au récit et, mis dans la bouche d’un personnage, bien plus dans l’évocation. Parce qu’il le dira avec ses mots.
Vous avez manqué la publication des derniers articles sur le blog ? Les voici !